Le feuilleton russe de Donald Trump en cinq actes

Spéculations sur les révélations à venir du général Flynn, ex-conseiller de Trump, dans l’enquête sur les liens de proches du président américain avec la Russie, attitude ambiguë dans l’affaire du piratage des emails du parti démocrate, mystère de la sextape de Moscou… Retour sur les mésaventures de Trump au pays des tsars.

Ex-star de la téléréalité, le président Donald Trump au pouvoir depuis le 20 janvier sait alimenter le suspense dans le dossier sur les liens de son entourage avec la Russie. Il faut dire qu’il bénéficie d’une équipe de choc. Le déclenchement d’enquêtes parlementaires et du FBI sur l’ingérence russe dans la campagne présidentielle de 2016 contribue à délier les langues. Dernier rebondissement, la proposition de l’ex-conseiller à la sécurité nationale de Trump, Michael Flynn, d’être entendu sur le sujet en échange d’une immunité. Cette avalanche de révélations mérite un rembobinage.

1. L’affaire du piratage des emails démocrates

Tout commence avec la divulgation, à la veille de la convention démocrate, en juillet 2016, de dizaines de milliers de mails du parti par Wikileaks. La Russie est soupçonnée d’être à l’origine de ce piratage, afin de nuire à la favorite de la campagne présidentielle, Hillary Clinton. Le mobile? Moscou redouterait un durcissement américain à son égard en cas de victoire de la démocrate. A l’inverse, Donald Trump a multiplié les signaux d’ouverture vis-à-vis de la Russie.

Lorsque l’affaire éclate, Trump sème le doute, semblant s’efforcer de dédouaner les Russes. « Hillary dit] La Russie, la Russie … ça pouvait être la Russie mais aussi la Chine, ou un geek obèse sur son lit, OK? » affirme-t-il à propos des piratages lors d’un débat.

Bien que la responsabilité du Kremlin soit techniquement difficile à établir, le président Barack Obama ordonne une enquête, pendant la transition. « Il ne se passe pas grand-chose en Russie sans l’aval de Vladimir Poutine », assène-t-il, mi décembre. Deux semaines après, il décide l’expulsion de 35 diplomates russes, à la faveur de la publication, par les services de renseignements, d’un rapport liant la Russie aux piratages. Début janvier, Trump admet finalement que la Russie a pu avoir un rôle.

2. Des conseillers un peu trop familiers avec la Russie

En parallèle, les soupçons de contacts de l’équipe du candidat avec la Russie avant l’élection se multiplient. Cela commence par Paul Manafort, directeur de campagne de Trump, obligé de démissionner en août 2016, pour des liens d’affaires avec la Russie et l’ancien gouvernement ukrainien pro-russe.

Paul Manafort à la Trump Tower en août 2016, deux jours avant sa démission pour ses liens avec Moscou.

Paul Manafort à la Trump Tower en août 2016, deux jours avant sa démission pour ses liens avec Moscou.

Reuters/Carlo Allegri

A l’automne 2016, une enquête est lancée sur les contacts établis par Carter Page, conseiller aux affaires internationales du candidat Trump, avec des officiels russes placés sous sanctions américaines. Cet ancien banquier d’affaires qui a conseillé le géant pétrolier Gazprom en 2007, se met alors en retrait.

Carter Page à Moscou en décembre 2016.

Carter Page à Moscou en décembre 2016.

Reuters/Sergei Karpukhin

Puis, en janvier dernier, le New York Times, révèle que les services de renseignements enquêtent sur de possibles communications téléphoniques entre trois conseillers de Trump et la Russie, dont Manafort, Page et un ami de longue date du milliardaire, Roger Stone. Tous démentent.

Roger Stone, ami intime de Donald Trump, à New York le 28 février 2017.

Roger Stone, ami intime de Donald Trump, à New York le 28 février 2017.

Reuters/Brendan McDermid

A peine entré en fonction comme conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, est contraint dedémissionner, le 14 février, après des révélations sur sa rencontre avec l’ambassadeur de Russie à WashingtonSergueï Kislyak, le jour où l’administration Obama annonçait des sanctions contre la Russie. Flynn aurait assuré au diplomate que Trump serait beaucoup moins sévère que l’administration Obama.

Le général paie aussi pour avoir menti au vice-président Mike Pence, qui a assuré que Flynn n’avait pas évoqué les sanctions avec l’ambassadeur.

Jeff Sessions à Washington, le 2 mars 2017.

Jeff Sessions à Washington, le 2 mars 2017.

Reuters/Yuri Gripas

Après des révélations du Washington Post, Jeff Sessions, l’une des éminences grises du président, est forcé de reconnaître avoir lui aussi rencontré l’ambassadeur russe à deux reprises en 2016. Il dément avoir commis un acte illicite au cours de ces rencontres. Le problème n’est pas tant la rencontre en soit que le fait de l’avoir d’abord niée alors qu’il était auditionné au Congrès sous serment, pour sa nomination en tant que ministre de la Justice. Alors qu’il aurait pu, en tant que tel, être amené à diriger une enquête le mettant en cause, Sessions s’est retiré de ce dossier.

Le général Flynn (g) à côté de Jared Kushner (C) à la Maison blanche le 13 février 2017.

Le général Flynn (g) à côté de Jared Kushner (C) à la Maison blanche le 13 février 2017.

Reuters/Carlos Barria

Le gendre et conseiller de Trump, Jared Kushner, est lui aussi mêlé à l’affaire. La Maison Blanche confirme, le 2 mars, une information du New Yorker, selon laquelle il a lui aussi rencontré Sergueï Kislyak, en compagnie du général Flynn, en décembre. Le 27 mars, le New York Times révèle que M. Gendre a aussi rencontré Sergueï Gorkov, patron de la banque VnechEconomBank (VEB), sanctionnée par les Etats-Unis.

3. Allégations sur une sextape russe impliquant Trump

Comme si les autres affaires ne suffisaient pas, des médias -hostiles à Trump- révèlent l’existence d’une vidéo à caractère sexuel impliquant le milliardaire. Elle aurait été tournée clandestinement par les services secrets russes lors d’une visite à Moscou, en 2013.

LIRE >> Trump et la Russie: le « kompromat », vieille pratique des services secrets russes

Ce possible objet de chantage est l’un des éléments d’un rapport commandé par des opposants au candidat Trump à un ancien agent du contre-espionnage britannique, Christopher Steele, sur les liens de l’équipe Trump avec la Russie. Trump dénonce des « fake news » et contre-attaque en accusant -sans la moindre preuve- Obama de l’avoir mis sur écoutes.

L'ambassadeur russe aux Etats-Unis Sergey Kislyak avec le premier ministre russe Dmitri Medvedev, en Virginie lors d'un sommet du G8, en 2012.

L’ambassadeur russe aux Etats-Unis Sergey Kislyak avec le premier ministre russe Dmitri Medvedev, en Virginie lors d’un sommet du G8, en 2012.

Reuters/Joshua Roberts

4. Le FBI et le Congrès enquêtent

Face à cette avalanche de révélations, le FBI confirme q’une investigation est en cours sur une possible collusion avec la Russie pendant la campagne électorale, le 20 mars.

LIRE >> « Le spectre d’un scandale politique majeur »

De son côté, la commission du Renseignement du Sénat, dirigée par le républicain Richard Burr et le démocrate Mark Warner, a aussi ouvert une enquête. Les sénateurs s’intéressent à une possible « coordination » entre des membres de l’équipe de campagne de Donald Trump et le gouvernement russe. Ils devraient auditionner Jared Kushner dans les prochains jours.

5. Le général Flynn propose de parler en échange d’une immunité

Nouveau rebondissement, le 30 mars: selon le Wall Street Journal, Michael Flynn a proposé au FBI et aux commissions d’enquêtes du Congrès d’être entendu en échange d’une immunité. Mi-mars, des documents révélés par le Congrès ont par ailleurs indiqué que le général a été rémunéré plus de 50 000 dollars en 2015 par trois entreprises russes ou liées à la Russie.

Le conseiller à la sécurité Michael Flynn à la Maison Blanche, le 1er 2017, avant sa démission.

Le conseiller à la sécurité Michael Flynn à la Maison Blanche, le 1er 2017, avant sa démission.

Reuters/Carlos Barria

L’offre de Flynn n’a pas pour l’instant été acceptée, précise le journal américain. Mais « le fait qu’il cherche une immunité suggère que Michael Flynn sent qu’il pourrait faire face à des ennuis judiciaires », explique le quotidien. L’ancien conseiller avait pourtant lui-même déclaré en septembre dernier, à propos de l’enquête sur les emails de Hillary Clinton, que « si vous demandez l’immunité, c’est que vous avez probablement commis un crime ».

Il est prématuré de voir dans ces affaires russes le Watergate de Donald Trump, mais pour un président en fonction depuis deux mois et demi, c’est un démarrage en beauté.