Un manuel anti-avortement distribué par des parents dans des lycées privés?

Un manuel qui condamne largement le droit à l’avortement, notamment en cas de viol, a été diffusé dans des lycées privés, selon plusieurs témoignages.

« En avortant son enfant, on choisit pour lui la mort, comme si on avait le droit de tuer. La loi qui donne ce droit semble rendre ce choix acceptable. Et pourtant, on commet un acte de mort ». Ces lignes, ouvertement anti-avortement, sont inscrites dans un manuel édité par la Fondation Jérôme Lejeune, dont plusieurs exemplaires auraient été distribués dans des lycées privés de l’Hexagone. L’ancienne « responsable de la communication institutionnelle » de cette fondation, selon son site web, n’est autre que Ludovine de La Rochère, la présidente du mouvement de la Manif pour Tous.

Mardi, une lycéenne d’un établissement privé de l’académie de Montpellier, sous contrat avec l’Etat, a envoyé au dessinateur Nawak des photos de ce manuel « distribué dans son lycée ». Ce dernier les a ensuite publiées sur Facebook, dans un post largement relayé ce mercredi, probablement en raison de la date: ce 28 septembre célèbre la journée mondiale du droit à l’avortement.

Le Huffington Post a pu s’entretenir avec la lycéenne à l’origine de ces clichés. « On a trouvé ce manuel mardi 27 septembre sur un présentoir à la vie scolaire de notre lycée », affirme-t-elle. La direction de l’Enseignement catholique de l’Hérault n’a pas répondu aux sollicitations de L’Express à ce propos.

« Pourquoi l’enfant subirait-il la peine de mort que ne subirait pas le criminel? »

On peut notamment lire dans la partie « réflexions éthiques » de ce manuel une douteuse observation à propos de l’avortement en cas de viol. « On peut comprendre qu’une femme ne désire pas l’enfant d’un viol (…) mais tuer l’enfant n’annule pas le drame. Cela l’aggrave au contraire. Le criminel doit être puni, mais pourquoi l’enfant subirait-il la peine de mort que ne subirait pas le criminel? ». Certains réflexions concernent également le changement de sexe et fustigent « les adeptes de la théorie du genre », qui « revient à vouloir une société fondée sur une illusion ».

Sur Twitter, la Fondation Lejeune se définit comme « une fondation spécialisée dans la recherche scientifique. Rien de religieux ». Jointe par L’Express, elle clame également que le manuel à l’origine de la polémique est un « manuel de bioéthique objectif, qui n’est pas anti-avortement ».

Des formations initiées par des parents d’élèves

Ce document est distribué par la Fondation aux Journées mondiales pour la jeunesse (JMJ), tous les ans, comme l’atteste cette photo prise en 2013 lors d’un rassemblement à Saint-Malo.

Selon le Huffington Post, il aurait également été diffusé dans au moins un lycée privé parisien. Une mère de deux jeunes filles, scolarisées dans cet établissement, a indiqué au site internet que ses lycéennes ont également eu ce livret en main lors d’une « formation humaine et religieuse », assurée par des parents d’élèves. « On leur a expliqué que le stérilet était une méthode d’avortement, un témoignage expliquait qu’une femme qui avortait pouvait sentir son bébé souffrir, ses yeux brûler ou encore que certains avortements démembraient les bébés », détaille la mère. Elle indique avoir alerté la direction de l’enseignement catholique de Paris. Contacté ce mercredi par L’Express, un responsable déclare n’avoir eu « aucun appel de parents d’élève sur cette question ».

« L’éducation nationale n’a pas de droit de regard »

Si la Fondation Lejeune affirme ne pas avoir de chiffres concernant la diffusion de ce document destiné aux jeunes et édité selon elle depuis 10 ans, elle confirme qu’il est bien distribué dans certains lycées. « Nous n’avons pas quadrillé le territoire en le distribuant à tous les établissements scolaires. Ce sont les parents d’élèves qui dispensent certains cours de catéchisme et font la démarche de venir nous voir pour récupérer ces manuels, dont ils se servent de base, en toute responsabilité ». Et de commenter: « Que l’on s’en serve dans les lycées catholiques, c’est plutôt une bonne chose ».

« Ce n’est pas choquant et l’éducation nationale n’a pas de droit de regard sur ces cours de catéchisme, dispensés dans des lycées privés », ajoute un responsable de la Fondation. Le ministère de l’Education nationale a confirmé cette position, ce jeudi: « Si ces documents sont diffusés en dehors du cadre de l’obligation scolaire -et donc des programmes- dans les établissements sous contrat, cela ne relève pas du contrat avec l’Etat », a-t-on indiqué à L’Express.

« Les élèves doivent avoir accès à une information objective et scientifique sur l’IVG et la contraception », affirme aussi le ministère, qui déplore que la Fondation Lejeune « diffuse une idéologie contre l’égalité hommes-femmes, contre le droit à l’IVG, contre la contraception ». Au cabinet de la ministre, on rappelle bien volontiers qu’un « parcours éducatif de santé » vient « d’entrer en vigueur dans les établissements scolaires publics et privés sous contrat » et qu’il comprend des « cours d »éducation à la sexualité ».