Beyrouth – Le régime syrien et son allié russe ont rejeté en bloc jeudi les accusations des pays occidentaux sur l’attaque chimique présumée en Syrie, alors que se multiplient les efforts pour faire voter une résolution de condamnation à l’ONU.
A New York, les Etats-Unis, la France et le Royaume-uni ont exigé la tenue ce jeudi d’un vote du Conseil de sécurité de l’ONU sur un projet de résolution demandant une enquête sur cette attaque, après le report mercredi du vote de la résolution.
L’attitude de la Russie est encore incertaine après deux jours de négociations qui ont abouti à une version légèrement révisée du texte.
Paris a d’ores et déjà mis en garde Moscou contre toute utilisation de son veto, qu’il a déjà utilisé à sept reprises pour bloquer toute action du Conseil de sécurité visant la Syrie, où la guerre a fait en six ans plus de 320.000 morts.
« Ce serait une responsabilité terrible face à l’histoire« , a estimé l’ambassadeur français à l’ONU François Delattre.
Mais le président russe Vladimir Poutine a jugé « inacceptable » d’accuser sans preuve le régime de Bachar al-Assad d’être responsable de l’attaque qui a fait mardi au moins 86 morts.
Pour Moscou, Washington ne dispose pas d’une information « fiable » pour pointer du doigt, avec les Français et les Britanniques, le régime.
Depuis l’attaque, les Etats-Unis ont en effet nettement durci leur discours, notamment en menaçant la Syrie d’une action unilatérale.
– Gaz sarin –
Et un responsable américain a dit jeudi que la Maison Blanche examinait des options militaires fournies par le Pentagone pour réagir à l’attaque, dont des frappes permettant de clouer au sol l’aviation syrienne.
« Ces actes odieux par le régime d’Assad ne peuvent pas être tolérés« , a martelé mercredi le président Donald Trump, qui a reconnu que son « attitude vis-à-vis de la Syrie et d’Assad avait nettement changé« .
Le président turc Recep Tayyip Erdogan, dont le pays a parrainé un cessez-le-feu fin décembre en Syrie avec la Russie, s’est dit par ailleurs « peiné » par le soutien apporté par Moscou à Damas.
L’indignation a pris de l’ampleur après la diffusion d’images choc d’enfants pris de convulsions sous leur masque à oxygène ou de personnes inertes gisant dans les rues et saisies de spasmes, de la mousse se dégageant de leur bouche.
Le caractère chimique de l’attaque semble ainsi se préciser même si les circonstances restent controversées.
En Turquie, où de nombreux blessés ont été évacués, les premières analyses « effectuées à partir des éléments prélevés sur les patients laissent penser qu’ils ont été exposés à un agent chimique« , a indiqué le ministère de la Santé.
Des médecins présents sur les lieux ainsi que des ONG internationales comme Médecins sans frontières (MSF) ont également évoqué l’utilisation d' »agents neurotoxiques« , en particulier le gaz sarin.
Ce gaz est inodore et invisible. Même s’il n’est pas inhalé, son simple contact avec la peau bloque la transmission de l’influx nerveux et entraîne la mort par arrêt cardio-respiratoire.
Le régime syrien a été accusé d’avoir utilisé du gaz sarin le 21 août 2013 dans l’attaque de localités aux mains des rebelles en périphérie de Damas, qui avait fait au moins 1.429 morts, dont 426 enfants, selon les Etats-Unis.
L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a annoncé qu’une enquête était en cours pour l’attaque de mardi, et dit avoir « pris contact avec les autorités syriennes« .
– ‘Nerfs touchés’ –
Le chef de la diplomatie syrienne Walid Mouallem a réaffirmé jeudi que l’armée syrienne « n’a pas utilisé et n’utilisera jamais » des armes chimiques contre son propre peuple, « pas même contre les terroristes« , mot utilisé par le régime pour désigner rebelles et jihadistes.
D’après lui, l’armée de l’air a frappé « un entrepôt de munitions appartenant » à des jihadistes et « contenant des substances chimiques« .
Cette explication concorde avec la version déjà avancée par l’armée russe, mais elle est jugée « fantaisiste » par plusieurs experts militaires.
Hassan Youssef, un habitant de Khan Choukheir, a raconté à l’AFP qu’il avait survécu à l’attaque en montant sur le toit d’un immeuble.
« J’avais entendu à la télévision qu’au moment d’une attaque chimique, il faut se rendre dans un endroit élevé car les substances toxiques restent plus proches du sol« , explique cet homme de 40 ans, hospitalisé à Idleb (65 km au nord de Khan Cheikhoun).
Après l’attaque, il dit avoir dû monter les escaliers jusqu’au toit « à quatre pattes« , en raison de sa faiblesse.
« Je m’évanouissais puis reprenais conscience avant de m’évanouir de nouveau« , ajoute M. Youssef qui dit ne plus sentir ses jambes. « Mes nerfs sont touchés« .
Un grand nombre d’enfants figurent parmi les 546 blessés de l’attaque, a indiqué l’Unicef, selon laquelle « ces chiffres vont probablement augmenter« .
« On ne peut pas permettre de continuer à tuer des enfants en Syrie« , a affirmé le directeur régional de cette organisation, Geert Cappelaere.
Dans son dernier bilan, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme a fait état d’environ 160 blessés, en plus des 86 morts.