Retour sur les enjeux de la crise entre Doha, Riyad et Abu Dhabi alors que les Etats-Unis, par la voix du secrétaire d’Etat, tentent de dissiper les tensions.
C’est la plus grave crise diplomatique au Moyen-Orient depuis des années. Mis au ban par Ryad et ses alliés de la région, le Qatar, pays gazier parmi les plus riches au monde, est soumis à un blocus par ses voisins qui exigent la soumission du petit émirat. Retour en cinq points sur l’escalade des tensions.
Rupture des liens diplomatiques
Le 5 juin, l’Arabie saoudite, l’Égypte, Bahreïn et les Émirats arabes unis mettent un terme à leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Une décision assortie de mesures économiques, comme la fermeture des frontières terrestres et maritimes, l’interdiction de survol et des restrictions sur le déplacement des personnes.
Officiellement, Doha est accusé par l’Arabie saoudite et ses alliés de « soutien au terrorisme ». Les accusateurs mettent dans le même sac les groupes djihadistes Al-Qaïda et le groupe État islamique (EI), les mouvements islamistes comme les Frères musulmans, confrérie soutenue par le Qatar pendant les Printemps arabes, le Hezbollah libanais ainsi que le Hamas palestinien.
Les premières conséquences pleuvent. Les locaux d’Al-Jazeera à Ryad sont fermés. L’Égypte et six compagnies aériennes du Golfe suspendent des vols sur Doha. Les supermarchés sont pris d’assaut, de peur d’une pénurie alimentaire.
Téhéran, dont les relations avec le Qatar étaient plutôt tièdes jusque-là, malgré le partage d’un champ gazier entre les deux pays, envoie de l’aide alimentaire à la péninsule dès le 11 juin, ce qui à l’inverse de l’effet voulu, pourrait renforcer l’influence de Téhéran dans la région.
Les motifs de Riyad et d’Abu Dhabi
Cette déstabilisation est principalement pilotée par l’Arabe saoudite et les Emirats arabes unis. Riyad souhaite étendre son influence sur la région et d’attirer l’attention des États-Unis, expliquait à L’Express Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS, au début de la crise.
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« L’objectif pour l’Arabie saoudite et ses alliés est de faire comprendre aux États-Unis qu’ils sont les partenaires à privilégier pour combattre le terrorisme », disait-il. De fait, la rupture des relations avec le Qatar se produit quinze jours après une visite à Ryad du président américainDonald Trump.
Les Emirats et l’Arabie saoudite ne pardonnent pas non plus à Al-Jazeera, chaîne qatarie très suivie dans toute la région, d’avoir relayé les mouvements de contestation contre les régimes autoritaires pendant les printemps arabes, en particulier les opposants islamistes susceptibles de menacer les monarchies absolues.
La Turquie prend la défense de Doha
Dès le début de la crise, Recep Tayyip Erdogan prend la défense de Doha. « S’efforcer d’isoler un pays dans tous les domaines […] est inhumain, contraire [aux valeurs de] l’islam », déclare le président turc, lors d’un discours retransmis à la télévision le 13 juin. Le 7 juin, le Parlement turc approuve la mise en oeuvre d’un accord datant de 2014 permettant le déploiement de troupes sur une base turque au Qatar. Le 22, Ankara annonce l’envoi de 5 véhicules blindés et 23 militaires ainsi que de denrées alimentaires.
Le 25 juin, Erdogan réitère son soutien à la péninsule, critiquant l’ultimatum posé par les pays du Golfe pour lever l’embargo. Il s’agit « d’une attaque contre les droits souverains d’un pays », dit-il. Le lendemain, Bahreïn accuse Doha de chercher une « escalade militaire », en allusion au déploiement de soldats turcs.
Le grand écart américain
Les Etats-Unis, eux, jouent un rôle des plus ambigus dans cette crise. C’est quelque jours après la réception fastueuse de Donald Trump en Arabie saoudite et ses félicitations sur Twitter que Riyad et Abu Dhabi ont déclaré la guerre au Qatar, encouragés, selon la plupart des analystes, par ce qu’ils prenaient pour un blanc-seing du locataire de la Maison Blanche.
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Mais il apparaît rapidement que le Pentagone et le secrétariat d’Etat ne partagent pas cette ligne. Pour cause, l’émirat abrite le Commandement central des forces aériennes des États-Unis, avec 10 000 soldats américains stationnés sur la base d’Al-Udeid. Depuis, Rex Tillerson tente de calmer les ardeurs des émirs saoudiens et émiratis. En devant composer avec Trump qui souffle le chaud et le froid. Tandis que Bob Corker, sénateur républicain influent, menace de bloquer les futures ventes d’armes aux six pays du Conseil de coopération du Golfe tant que le conflit ne sera pas résolu.
Les conditions posées par Riyad et ses alliés
Le 22 juin, Riyad et Abu Dhabi posent treize conditions pour mettre fin au blocus, avec un ultimatum de 10 jours. Parmi celles-ci, la réduction des relations de Doha avec l’Iran, la fermeture de la chaîne Al-Jazeera, ainsi la base militaire turque sur son sol. Le 27 juin, le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir, en déplacement à Washington, réaffirme que les demandes au Qatar ne sont « pas négociables ». Interrogé sur la demande de fermeture d’Al Jazeera, un diplomate émirati répond: « nous ne promouvons pas la liberté de la presse ».
Le Qatar, lui, campe sur son refus et réclame des preuves des accusations de terrorisme. La liste n’est « pas destinée à combattre le terrorisme, mais à empiéter sur la souveraineté du Qatar et à s’ingérer dans sa politique étrangère », rétorque Doha.
« Le Qatar s’engagera dans un dialogue constructif » avec ses adversaires « si leurs allégations (sur le soutien au « terrorisme ») sont soutenues par des preuves claires », insiste le ministre des Affaires étrangères Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani.