Les électeurs turcs d’Europe se sont eux exprimés, à l’avance, sur le référendum portant sur le renforcement des pouvoirs du président Erdogan qui se déroule ce dimanche.
Les électeurs de la diaspora sont peut-être les arbitres du sort de la Turquie. En France, comme ailleurs en Europe, ils ont eu deux semaines pour dire oui ou non à la réforme constitutionnelle proposée par l’AKP, le parti du président Recep Tayyip Erdogan. « Oui » ou « non » au renforcement des pouvoirs du président. Les Turcs de France pouvaient voter dans les bureaux de vote mis à disposition par les six consulats généraux à Paris, Strasbourg, Marseille, Lyon, Nantes et Bordeaux.
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L’AKP a bien compris l’intérêt de cet enjeu, multipliant les déplacements de ministres et d’élus pour faire campagne, alors que les sondages prévoient un scrutin relativement serré, avec un nombre d’indécis élevé.
La diaspora: 5 à 6% du corps électoral
Les 3 millions d’électeurs turcs hors du pays, dont la moitié en Allemagne et 325 000 en France, d’après des chiffres du Consulat, représentent en effet 5 à 6% du corps électoral. Or, la diaspora en Europe, à l’exception du Royaume-Uni, est plus pro-AKP que le reste de la mère patrie. Même tendance chez les plus jeunes, nés en France: lors du scrutin législatif de novembre 2015, l’AKP avait engrangé 56,3% des voix en Europe (58,3% en France) contre 49,5% au niveau de l’ensemble du corps électoral.
De manière parallèle, le vote pro-kurde est aussi surreprésenté, en raison de la présence de nombreux Kurdes sur le continent: en 2015, le parti pro-kurde HDP a obtenu 22% des voix en France, contre 10% en Turquie.
Ce décalage doit beaucoup à la démographie. Les électeurs turcs d’Europe sont pour l’essentiel des descendants des immigrés des années 1960, issus d’un milieu rural et conservateur, de l’Anatolie centrale et orientale en majorité, selon les spécialistes de la diaspora turque.
Attachement aux racines
« Beaucoup de jeunes franco-turcs se sentent exclus de la société française et sont en manque de repères, explique Anil Çiftçi de l’association DIDF (Fédération des Associations de Travailleurs et de Jeunes, classée à gauche), partisan du non. Ils se tournent vers leurs racines. »
L’attachement communautaire est renforcé par un dense tissu associatif, en partie contrôlé par Ankara. Les mosquées fréquentées par les Turcs en France sont rattachées à l’État turc via le DITIB (Union Turco-islamique des Affaires religieuses), « en vertu d’un accord entre la France et la Turquie », précise Baris Tantekin, consul général de Turquie à Paris. Leurs imams sont rémunérés par Ankara.
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« Cela contribue à une confusion des genres, affirme Emre Demir, ex-rédacteur en chef du journal Zaman France, réputé proche du mouvement Gülen, accusé par le pouvoir d’être l’instigateur de la tentative coup d’Etat du 15 juillet dernier. Des brochures pro-Erdogan ont été signalées dans les mosquées, devenues des relais de l’AKP ». Ce que dément le Consul de France. « Comme tous les fonctionnaires, les imams ont un devoir de réserve. Ils ne sont pas censés parler de politique ».
Forte participation
Le climat de tension actuel semble en tout cas avoir favorisé la participation. Les attaques terroristes, le conflit rallumé du Kurdistan ont ravivé le sentiment d’attachement nationaliste. « Au cours de la première semaine (les électeurs européens peuvent voter depuis le 27 mars), la participation a été plus élevée que lors des législatives de 2015, affirme Emre Demir. De quoi surprendre pour un référendum constitutionnel ».
La crise diplomatique déclenchée en mars par le refus de plusieurs pays européens de laisser des ministres turcs faire campagne a peut-être pesé. Erdogan « a compris que les crises lui profitent, expliquait alors le chercheur Samim Akgönul. Il fait résonner la fibre identitaire pour galvaniser ses partisans. » L’enthousiasme des électeurs, devant le consulat, témoigne de son succès.