La sécurité sociale est en déficit depuis 13 ans. Dans son rapport annuel, la Cour des comptes estime que la France devrait s’inspirer de l’exemple allemand pour repasser dans le vert..
La Sécurité sociale allemande? Bénéficiaire, à hauteur de 3,4 milliards d’euros en 2014. Son homologue française? Déficitaire, depuis treize ans. D’après le dernier rapport annuel de la Cour des comptes, la Sécu a encore creusé son trou de 13,2 milliards d’euros en 2014. Compte tenu de la croissance anémique, le retour à l’équilibre promis pour 2017 est repoussé à 2020, dans le meilleur des cas. La France a pris la mauvaise habitude de financer sa protection sociale à crédit. « Il s’agit là d’une anomalie profonde, dangereuse », selon le président de la Cour Didier Migaud. Le remède serait allemand. Explications.
L’hôpital français, trop cher
« Face aux enjeux du vieillissement et de l’extension des maladies chroniques, le système de santé reste trop centré sur l’hôpital », qui « représente 37% de la dépense », estime la Cour des comptes. Par exemple, l’hôpital prend en charge le traitement par dialyse de l’insuffisance rénale chronique. La Cour estime qu’il devrait se recentrer sur d’autres missions. L’hôpital « n’apporte pas aux patients d’avantage relatif justifiant des coûts élevés ». La Cour préconise la greffe de rein. Le coût annuel d’un patient greffé est de 14 700 euros, contre 65 091 euros pour un patient dialysé.
Mais l’hôpital français est surtout trop cher. Une dialyse revient à 62 000 euros en France, contre 40 000 en Allemagne pour une qualité de soins équivalente. L’hôpital allemand ne pèse que 29% dans la dépense totale de santé. Pourtant, les Allemands ne vont pas moins à l’hôpital que les Français, bien au contraire. Ils y effectuent plus de séjours (24 290 sorties d’hôpital pour 100 000 habitants contre 20 721 en France) d’une durée légèrement plus longue (9,3 jours contre 9,1 jours en France).
Pour expliquer cette différence de coût, la Cour incrimine des charges de personnel plus élevées dans notre pays, alors que l’hôpital allemand a externalisé certaines fonctions. Seconde explication, « les soins ambulatoires constituent une part significative de l’activité des hôpitaux français ». En Allemagne, ils sont confiés à la médecine de ville. Ainsi que les soins de suite et de réadaptation ou les soins de longue durée.
En Allemagne, le tiers-payant généralisé
Du côté de la médecine de ville, justement, la Cour retient aussi certaines particularités allemandes. Certes, les Allemands consultent deux fois plus leurs médecins que les Français. Les médecins gagnent mieux leur vie que leurs homologues français, mais leur rémunération est sévèrement encadrée pour ne pas faire déraper les dépenses. En effet, l’assurance-maladie allemande est tenue de respecter l’équilibre budgétaire dans le cadre d’un principe d' »auto-administration ». La limite budgétaire négociée chaque année par les médecins au sein de chaque Land doit être respectée.
Outre-Rhin, le tiers payant est généralisé, ce qui permet de contrôler l’activité des praticiens. Ils ne sont pas payés directement par leurs patients, mais par leurs associations professionnelles, qui leur attribuent individuellement des enveloppes de rémunération prélevées sur le budget régional. Contrairement à la France, oùles médecins peuvent prendre autant de patientsqu’ils veulent, les médecins allemands ne doivent pas dépasser un certain volume d’activité. Sinon, ils sont payés de façon dégressive.
Alors que les dépassements d’honoraires représentent 12% du volume total des honoraires en France, ils sont interdits en Allemagne pour les assurés affiliés à une caisse publique (89% des cas). Le système allemand impose « une responsabilisation financière des praticiens », note avec satisfaction la Cour des comptes. De ce fait, il a permis de contenir le volume de dépenses de médecine de ville, même s’il est plus important qu’en France.
Retraites: le rêve d’une caisse excédentaire
Des caisses de retraite excédentaires, la France n’y croit même plus. Entre 2000 et 2014, l’assurance vieillesse des salariés a réalisé un déficit de 65 milliards, tandis qu’elle était excédentaire de 16 milliards d’euros en Allemagne. Rien d’étonnant à cela, puisque les retraités français partent en moyenne deux ans plus tôt que les Allemands, et perçoivent un montant de pension de retraites supérieur de 8%. Circonstance aggravante, leur espérance de vie est plus élevée.
Quelle leçon en tire la Cour? Comme l’Allemagne donne la priorité à des « objectifs de compétitivité économique et d’équilibre financier », elle a procédé à des réformes plus radicales que la France, condamnée à remettre régulièrement son ouvrage sur le métier. « Les conditions d’âge de départ à la retraite à taux plein ont été plus fortement durcies dans le régime allemand que dans le régime français », remarque la Cour, en reconnaissant que la France rattrape son retard avec sa dernière réforme.
Notre système de retraite gagnerait cependant « à s’inscrire dans un mouvement d’adaptations en continu », estime la Cour. Mais les mécanismes d’ajustement qui permettent de garantir l’équilibre du système allemand ont un inconvénient: « Ils supposent d’être très attentifs à leurs conséquences éventuelles quand ils jouent sur la situation des retraités », note la Cour.
« La générosité, un choix social »
L’Allemagne, un exemple à suivre? « La France a un problème spécifique en matière de santé, reconnaît pour L’Express l’économiste Henri Sterdyniak. Les dépenses augmentent un peu vite. » Limiter les recettes des professionnels, quand elles augmentent sans raison apparente, est « une piste qu’on peut suivre », reconnaît-il.
Mais le spécialiste de politique sociale à l’OFCE a toutefois une autre interprétation que la Cour des comptes sur le déficit français comparé à l’excédent allemand: « Il est entièrement dû à la différence de situation économique! Il manque 6 points de PIB à la France, cela représente 30 milliards de cotisations sociales en moins. » Un déficit en grande partie conjoncturel? Effectivement, la Cour des comptes décompose le déficit 2014 en une part structurelle de 3,7 milliards, moins élevée que sa part conjoncturelle de 9,5 milliards.
En ce qui concerne les retraites, en revanche, l’économiste réfute l’hypothèse que la France aurait des leçons à recevoir de l’Allemagne: « Les Allemands sont moins généreux que nous sur la retraite, mais la générosité est un choix social », estime-t-il. Encore faut-il pouvoir se le payer.