Pour se réveiller, il faut d’abord s’être endormi. Dans le vin, trop de domaines clament un renouveau dans leur production mais, curieusement, nient farouchement qu’un état végétatif l’ait précédé. Le Château Dauzac, à Margaux, n’a pas cette coquetterie. Tout juste Laurent Fortin, directeur général depuis 2013, a-t-il la délicatesse d’évoquer « une belle endormie » en parlant de son domaine, de façon à ne pas choquer les clients de longue date. Nous n’avons pas ces manières. Dauzac était un château au minimum oublié, et à la production, disons, discutable. Ce n’est plus le cas. Car il a eu la chance, contrairement à Mon amie la rose chantée par Françoise Hardy, de se réveiller jeune. Il colle désormais à ce qu’on attend d’un grand vin au XXIe siècle. Sans être tape-à-l’œil, la propriété bordelaise est tout simplement élégante. On gare sa voiture devant la bâtisse du XIXe siècle, propre comme un sou neuf, au pied d’un bronze de 350 kilos du sculpteur Etienne. Deux femmes y sont représentées, elles trinquent entourées d’oiseaux. Il faut contourner le bâtiment pour découvrir l’immense parc, quelques tables de pique-nique devant une placide chartreuse médocaine du XVIIIe. L’herbe est rasée de près par trois robots-tondeuses qui sillonnent le pré. C’est un détail révélateur de l’état d’esprit qui souffle désormais sur la propriété : « Nous avons jugé que nos jardiniers avaient mieux à faire, sourit Laurent Fortin. Il fallait les impliquer dans des projets plus ambitieux et excitants. » Potager, arboretum, parcours fléché, herbier géant se sont mis en place en une poignée d’années. Ajoutez à cela des moutons pour entretenir les pâturages, des chevaux qui fournissent du fumier comme engrais naturel, une douzaine de ruches. Dauzac en tire un miel millésimé, vendu à la boutique du domaine. « Tout le monde fait du marketing. L’époque où les grands crus vendaient leur vin la porte fermée est révolue. » Le décor, si important pour répondre aux souhaits des amateurs d’œnotourisme, est certes réussi. D’ailleurs, l’an dernier, Dauzac a accueilli six mille visiteurs. Mais il ne fait pas tout. L’image est complétée par une couleur forte, un jaune bouton d’or qui signe désormais les étiquettes des bouteilles, la décoration intérieure, le site Internet. Bref, cette couleur rare dans le vignoble est devenue l’emblème de la marque – son impact n’est pas sans rappeler l’orange du champagne Veuve Clicquot. « On a complètement revu le packaging, reconnaît le directeur général de 49 ans. Nous avons également mené une stratégie marketing aussi agressive qu’innovante : communication digitale, concours sur les réseaux sociaux, rencontre avec des prescripteurs partout dans le monde : nous avons voulu ne rien négliger. » On s’étonne qu’il parle si librement de marketing, mot vulgaire au royaume des grands crus. « Je vis en 2017. Voilà. C’est ma réponse. » Il se radoucit : « Tout le monde fait du marketing. L’époque où les grands crus vendaient leur vin la porte fermée est révolue. » Sur Instagram, Dauzac est le deuxième château bordelais en nombre d’abonnés, un peu plus de dix mille, juste derrière Yquem. Il avait besoin de créer sa marque. Après avoir vécu seize ans aux Etats-Unis, Laurent Fortin avait à cœur de relever ce défi. A son arrivée, le château AOC margaux ne vendait ses bouteilles qu’à un seul négociant de la place de Bordeaux. Quatre ans plus tard, il en compte trente-sept. Le cru, lui, est passé de 20 euros en sortie de négoce sur le millésime 2013 à 31 euros pour le millésime 2016. On le retrouve chez les cavistes à une quarantaine d’euros. Même à ce prix-là, le produit reste à un excellent rapport qualité-prix. Car Dauzac n’aurait pas connu ce réveil en fanfare sans un vin à la hauteur. « Ce cru a vraiment dynamisé l’appellation margaux et nous en vendons beaucoup, confirme ¬Romain Rasser, responsable de la restauration au Sofitel Le Miramar de Biarritz. Il a la finesse propre à un margaux, mais aussi ce fruit en fin de bouche qui possède une super longueur. Alors que le 2013 est un millésime souvent loupé sur Bordeaux, ce vin s’en sort remarquablement bien. » Le château, il est vrai, partait sur de bonnes ¬bases : la vigne y prospère depuis le XIIe siècle, le nom de Dauzac est mentionné dès 1545 et intègre le classement des crus de bordeaux de 1855. Plus surprenant, c’est ici qu’a été testée la bouillie bordelaise, dans les années 1880. Ce célèbre fongicide à base de cuivre et de chaux permit d’enrayer le mildiou qui ravageait les vignes et il est aujourd’hui utilisé dans la plupart des cultures maraîchères. Mais le XXe siècle, sans être honteux, n’a pas fait briller le château.