Après Calais, Paris. Selon plusieurs associations, de nombreux migrants qui ont refusé d’être mis à l’abri dans des centres d’accueil lors du démantèlement de la « Jungle », ont rejoint la capitale ces jours derniers.
« Ils se doutaient bien qu’en démantelant Calais, beaucoup de personnes allaient arriver à Paris! », tonne Manon Ah, bénévole au Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (Baam), qui oeuvre dans les camps parisiens. Cet afflux est une conséquence directe du démantèlement de la « Jungle » de Calais, assurent les associations.
Depuis lundi, certains des migrants qui s’étaient massés dans le plus grand bidonville d’Europe et ont refusé d’être envoyés dans des centres d’accueil et d’orientation, ont rejoint les camps de la capitale. Les habitants du XIXe arrondissement de Paris, où se sont implantés la majorité de ces camps éphémères, entre les stations de métro Jaurès, Stalingrad et l’avenue de Flandres, ont vu se multiplier les tentes posées à même le bitume. Certains se seraient agrandis d’une cinquantaine de mètres en quelques jours.
« Ils vont devoir éviter Calais pendant un petit moment »
Combien sont-ils? « C’est difficile à estimer… Il y a plus de 3000 migrants qui vivent actuellement dans cette zone », indique à L’Express la bénévole du Baam. Parmi ceux qui ont quitté Calais, il y a « beaucoup d’hommes seuls et des mineurs ».
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Vers midi, ce vendredi, le coordinateur de l’ONG Idra s’alarmait auprès de l’AFP du nombre croissant de repas à servir. De « 700 à 800 » déjeuners servis il y a trois jours sur l’avenue de Flandres, « on est à plus 100 aujourd’hui », explique-t-il. En milieu de matinée, plusieurs migrants ont été interpellés lors d’un contrôle de police autour de Stalingrad.
« La nouvelle du démantèlement de Calais a vite couru, constate Manon Ah. Alors certains de ceux qui vivaient là-bas sont venus à Paris, sans savoir vraiment où aller… Ils ne veulent pas oublier leur rêve de rejoindre l’Angleterre, mais savent qu’ils vont devoir éviter Calais pendant un petit moment ».
2000 départs en prévision du démantèlement?
A Calais justement, les associations avaient pourtant tiré la sonnette d’alarme depuis plusieurs semaines. « On avait annoncé qu’il y aurait cet afflux avant même le démantèlement, déplore François Guennoc, le vice-président de l’association l’Auberge des migrants, basée dans le Pas-de-Calais. Selon les recensements que nous avons effectués entre mi-septembre et mi-octobre, ce sont plus de 2000 personnes qui ont quitté le campement, en prévision de son évacuation ». « Certains sont allés vers la Belgique, le Luxembourg ou l’Allemagne, mais d’autres ont préféré rejoindre Paris », détaille le bénévole.
Selon lui, si certains souhaitent effectivement toujours rejoindre le Royaume-Uni et « chercheront à revenir à Calais », d’autres ont refusé d’être hébergés en centre d’accueil car ils « sont déjà déboutés du droit d’asile », et beaucoup ont « peur d’être expulsés ».
Pour Cosse, « ceux qui arrivent à Paris ne viennent pas de Calais »
La mairie de Paris, qui évoque elle aussi la présence d’environ « 3000 personnes » dans les camps du XIXe, ne conteste pas la venue de demandeurs d’asile depuis Calais. « On ne peut pas vous dire avec certitude qu’ils viennent de là-bas, affirme-t-on dans l’entourage de la maire, mais on constate une progression notable de leur nombre depuis une semaine, alors il doit y avoir une concordance ».
Cet afflux conséquent des derniers jours est pourtant contesté par le gouvernement. « Ceux qui arrivent à Paris ne viennent pas de Calais », indiquait jeudi soir la ministre du Logement Emmanuelle Cosse, sur Public Sénat. « Il n’y a pas eu de mouvement de migrants entre Calais et Paris » a insisté ce vendredi Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur. « Rien ne laisse à penser qu’il y a eu un afflux massif depuis le démantèlement », soutient dans le même temps la mairie du XIXe, où sont implantés ces camps de fortune. »On est désemparés et spectateurs de ce qui se trame, regrette-t-elle. On ne peut qu’interpeller l’Etat et gérer, à notre échelle, la partie humanitaire, avec des urinoirs, des fontaines à eaux… »
Baisse des températures et conditions sanitaires « indignes »
« Plus de 2000 migrants » se sont installés à Paris depuis la dernière opération de mise à l’abri menée le 16 septembre, a souligné dans la soirée Jean-François Carenco, le préfet de la région Ile-de-France, réfutant l’hypothèse d’un afflux massif faisant suite au démantèlement de la « Jungle » de Calais. « Des contrôles ont été mis en place, sur les routes, sur les voies ferrées, et rien n’indique à ce stade qu’il y ait un afflux de migrants venus de Calais » a-t-il expliqué.
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La mairie de Paris a également fait des appels du pied à l’Etat, pas plus tard que ce vendredi matin, dans une lettre adressée aux ministres de l’Intérieur et du Logement et signée d’Anne Hidalgo. « Elle leur demande une mise à l’abri immédiate de tous ces migrants, car l’hébergement est une des compétences de l’Etat, la ville ne peut pas faire grand chose », indique à L’Express un membre de l’entourage de la maire. « Les températures baissent de plus en plus et ces conditions sanitaires sont indignes de la France », souffle-t-il.
Un camp de 400 places pour 3000 migrants à Paris
« Le problème, soulève la mairie de Paris, c’est que l’Etat cherche toujours à rassembler suffisamment de places dans les centres avant de mettre à l’abri toutes les personnes d’un camp, mais cette méthode n’est plus possible, car le nombre de migrants qui les peuplent grossit de jour en jour ».
Le camp humanitaire que la mairie de Paris doit inaugurer dans les jours qui viennent ne devrait pas solutionner le problème. « Nous n’avons que 400 places, souligne la municipalité. Il est fait pour accueillir chaque jour les 70 à 80 personnes qui arrivent à Paris, pas ceux qui y sont déjà ». Et il y a un préalable à son ouverture: « Il faut que l’Etat ait mis à l’abri les migrants actuels et démantelé leurs camps ». « Nous démantèleront dans les jours qui viennent le campement de migrants de Paris », s’est engagé Bernard Cazeneuve, en début d’après-midi.