CHRONIQUE. La prestation de Dimitri Payet contre la Roumanie éclipse toutes les autres actualités de l’équipe de France. L’emballement va jusqu’à des comparaisons avec Zidane, signe d’une conception poussiéreuse des chances des Bleus de gagner l’Euro 2016.
C’est exact, les ralentis sont troublants. Dimitri Payet a deux joueurs devant lui mais c’est comme s’ils n’existaient pas. Dribbles. Feintes. Crochet. Accélération. Tête levée vers le jeu. L’attaquant de l’équipe de France s’est sorti de toutes les situations et fut à l’origine de tout ce que les Bleus ont réussi, en ouverture de l’Euro 2016. Il aurait été désigné comme l’homme du match de France – Roumanie (2-1) même sans son but extraordinaire et décisif de la 89e minute. Avec, il est entré dans une autre dimension. Celle de l’ouverture des journaux de 20 heures. Voire au-delà. Dans une sphère où il devient légitime de le comparer à Zinédine Zidane.
« Ça m’a rappelé exactement Zidane contre le Brésil »
Cette petite musique, on l’entend de façon plus ou moins explicite depuis vendredi soir. Survoler un match comme l’a fait Payet contre la Roumanie, Zidane l’avait fait dans sa carrière contre le Brésil en quart de finale de la Coupe du monde 2006 (1-0). Être magistralement décisif à la dernière minute en ouverture de l’Euro, Zidane l’avait fait aussi en 2004 contre l’Angleterre (2-1). Alors, avec quelques-uns, Frank Leboeuf s’est lâché dimanche sur TF1.
Jean-Michel Larqué, avec plus de perfidie, a lui aussi pénétré sur ce terrain: « Payet a su qu’il avait fait peut-être, à ce jour, le match de sa vie, a dit l’ancien Vert sur RMC. Il sort deux minutes après avoir marqué un but exceptionnel, qui donne un résultat exceptionnel pour l’équipe de France. Tout lui a réussi. Ça m’a rappelé exactement Zidane contre le Brésil… au niveau de Payet. »
Leboeuf et Zidane ont été les plus audibles sur un discours que quelques personnes anonymes avaient déjà tenu à chaud sur les réseaux sociaux.
« DP possède la vision de Platini et les arabesques de Zidane; le sens du jeu de l’ancien président de l’UEFA, le jeu de corps de l’actuel entraîneur du Real Madrid. » La Dépêche du Midi ne s’est rien refusée sur le sujet, à part peut-être de répondre à la question magistrale qu’elle a posée en titre: Payet peut-il être l’égal de Payet et Zidane?
Les fans de West Ham – le club anglais où évolue Payet depuis un an – s’en chargent depuis ce printemps. Voilà ce qu’ils chantent quand le Réunionnais les régale : « Nous avons Payet, Dimitri Payet! Je ne crois pas que vous compreniez. Il est l’homme de « Super Slav » [Slaven Bilic, l’entraîneur], il est meilleur que Zidane. Nous avons Dimitri Payet! ». (1)
« Nous vous enflammez pas »
Après France – Roumanie, Patrice Evra fit ce que personne ne pouvait imaginer vu son passif avec nos confrères: il a prié les journalistes. « Je vous en supplie, ne vous enflammez pas sur lui. Vous l’avez fait avec la Pioche (Pogba), avec Grizou (Griezmann). La star, c’est l’équipe. Pas Dimitri, ni Paul ni Grisou. » Les occasions d’être d’accord avec Evra sont suffisamment rares pour être soulignées: il a totalement raison. Rien ni personne ne devrait avoir besoin de reporter l’héritage de Zidane sur Payet.
Dire ça, ce n’est en aucun cas sous-estimer le niveau auquel l’ancien joueur de Nantes, Lille et l’OM risque de se hisser sur sa lancée. Que Payet plante deux buts par match avec des roulettes en prime, qu’il décroche le Ballon d’Or, qu’il atteigne à 29 ans le niveau des plus grands, cela fera beaucoup de bien à tout le monde, mais cela ne fera pas de lui un nouveau Zidane.
Rattrapé in extremis en mars dernier
Dire ça, ce n’est pas non plus délégitimer l’acte de comparaison en football. Il est parfaitement valable de comparer les joueurs entre eux. L’histoire de ce sport est trop riche et trop partagée pour philosopher sur des platitudes (« chaque joueur est unique ») et se priver – un peu comme dans les arts, la politique et la mode – de tracer des lignées d’influence entre les grands hommes et les époques.
Dire ça, c’est éviter de s’asseoir sur la somme de différences qui caractérisent les deux hommes: leur poste, leur bagage, leur déroulé de carrière, leur histoire avec les Bleus. Car si Platini et Zidane ont un point commun, c’est celui d’air été investi très en amont de la mission de guider l’équipe par leur sélectionneur respectif, Michel Hidalgo puis Aimé Jacquet. Payet est revenu chez les Bleus il y a trois mois grâce à l’affaire Valbuena-Benzema, après avoir osé affronter Didier Deschamps par médias interposés. Rien à voir.
Le drame de la comparaison Payet – Zidane est qu’elle maintient l’infantilisation autour d’une idée poussiéreuse et défensive du destin de l’équipe de France. Cette idée veut que la France n’ait les moyens de briller en compétition qu’à la condition de posséder un génie en son rang. C’est, ce que j’avais appelé, il y a deux ans, le bonapartisme footballistique. C’est le césarisme appliqué au football. L’assistanat transformé en grille de compréhension du jeu.
Je ne prétends pas qu’il ait été inutile de posséder Raymond Kopa, Michel Platini puis Zinédine Zidane sous la maillot bleu pour lui donner une histoire. Mais cet aveuglement autour de quatre dates – 1958, 1984, 1998, 2000 – balaie d’autres constats qui en disent beaucoup plus sur l’art de gagner dans le football de très haut niveau.
Avant l’Euro, le Zidane des Bleus devait être… Deschamps
Premier constat: posséder un génie ne garantit aucun résultat, la France l’a expérimenté avec Zidane, notamment à l’Euro 2004, les Pays-Bas l’ont payé avec feu Johann Cruyff, et on attend toujours les grands titres de Lionel Messi et Cristiano Ronaldo avec leur sélection
Second constat: la plupart des équipes se contentent de gagner des trophées avec des excellents joueurs et un collectif plus habité que les autres par l’idée de leur destin. L’Allemagne, championne du monde 2014, l’Espagne qui a tout gagné entre 2008 et 2012, l’Italie de 2006, la liste est interminable des nations qui ne se sont pas embarrassées à chercher le génie parmi elles avant de devenir des machines à gagner.
Avant l’ouverture de l’Euro, l’obsession française pour César avait triomphé dans quelques affirmations surréalistes au terme desquelles Didier Deschamps, le sélectionneur, était le Zidane de cette équipe-là. Deschamps, Payet. En un match de l’Euro 2016, les Bleus ont déjà eu deux hommes providentiels. Deux de trop.
(1) En anglais dans le texte : « We’ve got Payet, Dimitri Payet! I just don’t think you understand. He’s Super Slavs man, he’s better than Zidane. We’ve got Dimtri Payet! »