Indemnités prud’hommes: sept questions pour comprendre ce que veut Macron

Plafonner les indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif est l’une des mesures clés de la réforme du code du travail pour le gouvernement. Mais elle est contestée.

C’est une mesure emblématique à laquelle Emmanuel Macron ne compte pas renoncer, au risque de braquer des syndicats majoritairement hostiles. Le gouvernement semble bien décidé à instaurer le plafonnement des indemnités aux prud’hommes en matière de licenciement abusif ou sans cause réelle et sérieuse. « Les dommages et intérêts accordées vont du simple au triple, assure Muriel Pénicaud dans un entretien aux Echos. il faut s’attaquer à l’injustice de la disparité des situations ».

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La mesure pourrait susciter de vives tensions tant elle irrite dans les rangs des organisations représentatives des salariés. Le sujet fait-il l’objet de « fantasmes » de part et d’autre comme l’affirmait récemment Philippe Louis de la CFTC? Le point en sept questions-réponses.

1. De quoi parle-t-on?

Le projet d’Emmanuel Macron concerne les dommages et intérêts obtenus par des salariés en cas de licenciement abusif ou sans cause réelle et sérieuse.

La mesure entend encadrer les sommes octroyées aux salariés par le conseil des prud’hommes ou la cour d’appel en leur appliquant un plancher et un plafond. En clair, il ne serait plus possible d’obtenir ni moins, ni plus que ce que fixerait le texte de loi.

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Le projet ne concerne que les indemnités ou dommages et intérêts obtenus en réparation du préjudice que constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’indemnité légale de licenciement ainsi que toutes les autres indemnités éventuellement obtenues par le salarié (paiement d’heures supplémentaires, bonus, etc.) ne sont pas concernées par ce plafonnement.

De la même façon, si d’autres chefs de demande annexes au licenciement sont ajoutés et avérés (discrimination, non respect du temps de travail, notamment du forfait jours pour les cadres, harcèlement moral), les sommes perçues ne devraient pas être limitées non plus. Même si, dans l’attente de la version finale, tous les avocats ne s’accordent pas sur ce point.

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Selon les informations publiées mardi 7 juin par Libération et reprenant une note de la Direction générale du travail (DGT), le gouvernement réfléchirait aussi à un raccourcissement du délai de contestation aux prud’hommes après un licenciement économique. Pour le moment, le salarié dispose d’un an pour le faire mais l’exécutif envisagerait de le réduire à deux mois.

2. Pourquoi encadrer ces indemnités?

Dans son programme, Emmanuel Macronassurait que l’instauration d’un plancher devait permettre « de protéger les droits des salariés » et que la mise en place d’un plafond était destinée, elle, à donner aux entreprises une visibilité et une assurance permettant de lever les freins à l’embauche en CDI ».

La mesure est réclamée de longue date par le patronat, Medef en tête, qui assure que l’incertitude liée aux montants octroyées en cas de contentieux aux prud’hommes relève, pour les patrons, de la « loterie. » « Il s’agit clairement d’une réforme hautement symbolique faite pour les entreprises, dans le but de rassurer les patrons », commente Pascal Delignières, avocat au sein du cabinet Fidal.

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Un avis partagé par l’un de ses confrères, clairement orienté du côté employeurs. « C’est un signal psychologique, un effet d’annonce qui peut peut-être avoir un effet sur les très rares cas où des salariés obtiennent des dommages et intérêts aux montants extravagants », estime ce professionnel du droit.

En 2015, lors du vote de la loi qui porte son nom, l’ex-ministre de l’Économie avait tenté d’instaurer un plancher et un plafond aux indemnités en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise. Mais la mesure a été retoquée par le Conseil constitutionnel, qui a jugé que le critère de la taille de l’entreprise « méconnaissait le principe d’égalité devant la loi ».

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3. Comment sont calculées les indemnités prud’homales aujourd’hui?

L’indemnité octroyée au salariée est décidée par le conseil des prud’hommes. Elle peut varier en fonction de l’âge et de l’ancienneté du salarié, de la taille de l’entreprise et de ses difficultés à retrouver un emploi.Un plancher existe déjà: si le salarié compte deux ans d’ancienneté et travaille dans une entreprise de 11 salariés au moins, il ne peut pas obtenir moins de six mois de salaire brut en cas de licenciement abusif.

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Depuis 2013, un barème de conciliation est en vigueur pour l’étape préalable aux prud’hommes. Il aide à calculer une « indemnité forfaitaire » lorsque les parties veulent mettre un terme au litige. « Mais il n’a pas été beaucoup utilisé car il était trop élevé pour les salariés avec une petite ancienneté et trop bas pour ceux avec beaucoup d’ancienneté », comment Frédéric Renaud, avocat au cabinet Renaud Avocats.

Un barème indicatif issu de la loi Macron suggère quant à lui aux conseillers prud’homaux et aux juges les montants à accorder aux salariés et allant de 1 mois à 21,5 mois de salaire en fonction de l’ancienneté.

4. Combien touche un salarié aux prud’hommes?

Selon une étude du ministère de la Justice de 2016 et portant sur des décisions de 2014, les indemnités liées à un licenciement sans cause réelle et sérieuse représentent un montant moyen de 24 089 euros soit environ dix mois de salaire.

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Mais les montants peuvent varier selon le profil du salarié (son âge, son ancienneté, sa capacité à retrouver un emploi) mais aussi selon les différentes juridictions.

« On constate qu’il y a des pratiques prud’homales très différentes, commente Anne Murgier, avocate associée au cabinet Capstan. Il y a un vrai aléa sur le montant des dommages et intérêts. Même s’il est extrêmement rare de voir des préjudices indemnisés avec plus de 24 mois de salaire. » De son côté, Pascal Delignières estime lui que la juridiction française « n’a pas tendance à sur-indemniser les salariés. »

5. Quelle forme pourrait prendre ce futur barème obligatoire?

Le barème indicatif mis en place depuis quelques mois va-t-il être simplement rendu obligatoire? Un autre barème, semblable à celui proposé initialement par Emmanuel Macron, va-t-il être défini? Un mélange des deux cadres existants sera-t-il mis en place? Pour le moment, peu d’éléments filtrent sur les contours de la future mesure.

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« Le gouvernement va devoir inventer un dispositif suffisamment juste, avec des bornes acceptables, pour qu’il soit approuvé par les syndicats », insiste Pascal Delignières. Pour lui, il est impératif qu’il y ait plusieurs planchers et plusieurs plafonds afin que les juges gardent une forme de liberté d’appréciation au sein des fourchettes.

« Pour le moment, selon le barème indicatif, les salariés avec plus de 30 ans d’ancienneté peuvent obtenir 18 mois de salaire, poursuit-il. Quand on a plus de 50 ans et qu’on est fragile sur le marché du travail, 18 mois c’est peu. Il faudrait donc imaginer un dispositif qui permette au juge de se situer entre un plancher de 15 mois et un plafond de 25 mois en fonction du profil du salarié. »

A l’inverse, Frédéric Renaud s’attend, lui, à ce que le futur mécanisme fixe un forfait en face de chaque année d’ancienneté. « Si l’objectif est de lever l’incertitude des chefs d’entreprise et de favoriser l’emploi, alors il me semble plus cohérent de border avec un nombre précis de mois de salaire précis par année d’ancienneté », juge-t-il. La marge de manoeuvre du nouveau gouvernement s’annonce, quoiqu’il arrive, étroite…

6. Les salariés doivent-ils s’inquiéter de cette réforme?

Tout va dépendre des futurs montants fixés… « Le barème indicatif de 2016 est assez proche de ce qui se pratique, bien qu’un peu en deçà, même s’il y a des disparités entre les juridictions… Les salariés ne devraient donc pas forcément y perdre si la future réforme se situe dans ces clous-là », analyse Anne Murgier. Il faudra tout de même surveiller attentivement les montants arrêtés dans le texte de loi.

Autre élément à observer de près: le maintien ou non du plancher minimal de six mois pour les salariés des entreprises d’au moins 11 salariés et affichant plus de deux ans d’ancienneté.

Dans le référentiel de la loi Macron – retoqué par le Conseil constitutionnel -, ce seuil minimal de six mois existant aujourd’hui avait été éclipsé. « La disparition de cette borne pourrait avoir de fâcheuses conséquences pour les salariés ayant une petite ancienneté, pointe Thomas Roussineau, avocat en droit social. Certains pourraient être pénalisés. »

Le document de travail issu de la DGT publié par Libération mercredi 7 juin, indique que le gouvernement envisagerait bien de « baisser ce plancher actuel ».

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Plusieurs avocats s’attendent en effet à ce que la mise en place d’un barème limite le recours aux contentieux en favorisant les transactions préalables entre l’employeur et le salarié. « Le risque est surtout de décourager les salariés d’intenter une procédure au vu du faible enjeu financier en regard des frais engagés », relève Thomas Roussineau.

7. Les entreprises doivent-elles se réjouir?

Si le dispositif entre en vigueur, les employeurs ne pourront plus arguer que le passage devant les prud’hommes constitue une « loterie ». « Ils sauront dire à l’avance combien leur coûtera une rupture du contrat de travail et il y aura surtout une véritable harmonisation », assure Anne Murgier.

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Envolée la crainte – plus ou moins fondée – de devoir payer des sommes astronomiques à un salarié licencié. L’embauche en sera-t-elle pour autant facilitée? Encore faut-il que les entreprises jouent le jeu et que la « peur de l’engagement » soit bel et bien imputable aux prud’hommes.

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