Le groupe d’experts économiques chargés chaque année de donner son avis sur l’évolution du Smic préconise de ne pas l’augmenter plus que l’inflation. Selon eux, le salaire minimum aurait aussi des effets pervers.
A gauche, l’augmentation du Smic est une revendication aussi classique que symbolique. Pourtant, à l’exception d’un coup de pouce de 0,6% en 2012, le gouvernement présidé par François Hollande ne l’a revalorisé chaque année que du minimum légal, calculé à partir de l’inflation et de la hausse des salaires. Il a suivi en cela les avis d’un groupe d’experts chargé de conseiller l’exécutif dans ce domaine. Mis en place par une loi du 3 décembre 2008, ce groupe a vu le jour à la demande des employeurs, explique La Tribune.
En 2016, le Smic était de 1466,62 euros bruts mensuels. La dernière année du quinquennat Hollande sera courte, mais elle ne devrait pas déroger à la règle, puisque les experts, dont le dernier avis a été révélé par Les Echos, prônent une nouvelle fois la modération. « Aller au-delà de la formule légale d’indexation introduirait un risque de déstabilisation à partir d’une situation encore fragile », argumentent-ils. Le gouvernement doit prendre sa décision le 19 décembre.
Poursuivre l’effort sur le coût du travail
Le groupe d’experts, présidé depuis 2013 par François Bourguignon, directeur de l’École d’économie de Paris, se compose des économistes Pierre Cahuc (Crest), Eve Caroli (École d’économie de Paris), Stefano Scarpetta (OCDE) et de la sociologue Dominique Goux (Crest). Il appelle « à la prudence et à la modération » salariale dans la mesure où « la conjoncture de l’emploi reste précaire. »
En 2016, les chiffres du chômage ont pourtant montré une amélioration. Mais l’embellie est due « probablement plus aux mesures d’allègement du coût du travail qu’à la conjoncture économique », estiment les experts. C’est à dire que plutôt que d’augmenter le Smic, ce qui risquerait d’entraîner des revendications sur toute l’échelle des salaires, ces économistes estiment qu’il faut poursuivre la politique de baisse du coût du travail engagée par le gouvernement avec le CICE et le pacte de responsabilité.
« La composition de ce groupe correspond à une économie du consensus. Comme le chômage se concentre sur des postes en dessous de 1,3 Smic, cette école estime que le salaire minimum est trop élevé, et qu’il faut concentrer la baisse des charges sur les bas salaires », explique à L’Express Olivier Passet, du groupe d’études économiques Xerfi. « Ils ont un leitmotiv: le travail est un coût à réduire absolument », déplore Boris Plazzi, responsable de la négociation sur les salaires à la CGT.
Le Smic contre l’emploi des moins qualifiés
Il ne s’agit pas simplement d’améliorer la compétitivité des entreprises exportatrices, confrontées à des concurrents moins disants sur les salaires. Dans leur avis précédent en 2015, ces mêmes experts avaient reconnu que l’impact du Smic sur la compétitivité de l’industrie française était « relativement modeste. » Ce n’est pas le secteur qui est le plus gourmand de salariés au Smic, mais celui des petites entreprises de services, de restauration, d’hôtellerie, peu exposé quant à lui à la concurrence internationale.
C’est surtout en raison d’un chômage des jeunes qui reste bien trop élevé (24%), que l’augmentation du Smic s’avérerait périlleuse, avertissent-ils. Le maintenir à son minimum, donne plus de chance à un jeune sans expérience d’entrer dans l’entreprise avec un contrat durable et à plein temps. L’année dernière, les experts alertaient justement sur la hausse du travail à temps partiel subi et le recours aux CDD courts, des situations auxquelles les salariés les plus jeunes sont souvent confrontés.
Le problème est similaire pour le chômage des seniors, qui continue à grimper. Alors qu’ils sont particulièrement touchés par le chômage de longue durée, une augmentation trop forte du Smic ne favoriserait pas leur retour vers l’emploi. En d’autres termes, un Smic trop élevé conduirait au sacrifice des populations les plus éloignées de l’emploi. Un diagnostic qui n’est pas partagé par tous les économistes: « Le taux de chômage des jeunes est également très élevé dans des pays qui n’ont pas de salaire minimum », remarque Olivier Passet.
Norme salariale contre prestation sociale?
En résumé, c’est le procès du Smic que le groupe d’experts semble instruire année après année, tout en plaidant pour son augmentation mécanique. « Personne ne propose de diminuer le niveau du Smic, ce serait une réforme nucléaire », note pour L’Express Bertrand Martinot, auteur de Pour en finir avec le chômage (Fayard).
Le Smic joue « un rôle ambigu », affirmaient les experts en 2015. Soit c’est une norme salariale qui ne doit pas augmenter plus que les autres, soit c’est aussi un instrument de redistribution.Plutôt que donner un coup de pouce supplémentaire au salaire minimum pour améliorer les conditions de vie des travailleurs modestes, au risque de déstabiliser un marché du travail moribond, ils préconisent cette année d’utiliser la prime d’activité pour atteindre ce but, ont noté Les Echos. Une aide publique qui complète les revenus les plus faibles, sans augmenter le coût du travail pour l’entreprise.
« On laisse tranquilles les entreprises »
« La pauvreté comme l’inégalité diminuent plus fortement sous l’effet d’une revalorisation de la prime d’activité que sous l’effet d’une hausse du Smic », affirment-ils. La prime serait plus juste, puisque calculée en fonction des revenus du ménage. « On laisse tranquilles les entreprises, quitte à augmenter l’impôt sur les ménages qui financera la prime d’activité », suspecte Boris Plazzi.
Depuis 2012, le gouvernement a régulièrement tranché pour la modération du Smic, et la prime d’activité vient tout juste d’entrer en vigueur. « En France, on n’a pas besoin d’un choc de salaires positif », estime également Olivier Passet. L’augmentation du Smic peut même provoquer un syndrome de pauvreté parmi les classes moyennes, quand elles voient le niveau plancher se rapprocher de leurs rémunérations. Il n’y a donc guère de chances que les exhortations venues de la gauche fassent changer d’avis l’exécutif. A moins d’un dernier virage avant l’élection présidentielle?