Des moniteurs d’auto-école indépendants pas très légaux

Vous trouvez le permis trop cher? En quelques clics, une solution s’offre à vous : les annonces de leçon de conduite avec un moniteur indépendant. Beaucoup moins chères certes mais, totalement illégales.

Pour dénicher ses clients, Alex poste des petites annonces. Sur Internet, il propose des leçons de conduite pour 28 euros de l’heure. Les intéressés le contactent, par mail ou par téléphone, fixent une date, une heure et un lieu de rendez-vous. Le jour J, Alex arrive avec sa voiture à double commande, charge l’élève et les voilà partis pour une ou plusieurs heures… en toute illégalité.

Il propose ses services directement aux particuliers sur le web, tout en sachant parfaitement que cette dernière activité est interdite. « Si je me fais contrôler par la police pendant un cours, je dirais que je loue une voiture à double commande et que mon activité d’accompagnateur est offerte », confie-t-il. Mais ce cas de figure ne s’est jamais produit. Alex, ingénieur de formation, enseigne sous la casquette de moniteur indépendant dans la région parisienne depuis un an après avoir été salarié d’une auto-école pendant sept ans. Lorsque celle-ci a fermée, en 2013, il venait d’avoir 50 ans.

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« Les patrons veulent des jeunes pour répondre à la clientèle, s’exclame Alex. Comme je n’arrivais pas à trouver de boulot, je suis devenu auto-entrepreneur – sans jeu de mots – simplement pour travailler. » Quand il était salarié, Alex gagnait 2000 euros bruts. « Aujourd’hui, je déclare uniquement la somme nécessaire pour ma retraite, explique-t-il. Mais, en additionnant l’ensemble de mes activités, j’empoche l’équivalent de mon ancien salaire. Pas plus. » L’assurance de son véhicule, qu’il a acheté pour ce travail, vaut pour lui et ses passagers. Quant aux réformes et techniques d’apprentissage, Alex est à la page. Il applique avec sa clientèle personnelle, issue des petites annonces, la même pédagogie que celle que les auto-écoles lui imposent.

29 euros de l’heure, contre 50 euros dans une auto-école

Comme Alex, de plus en plus de moniteurs choisissent le statut d’indépendant. Et pas toujours dans la légalité, ce qui commence à inquiéter sérieusement l’Union nationale intersyndicale des enseignants de la conduite (Unidec). Le monitorat indépendant est légal tant que les prestataires vendent leurs services dans le cadre d’une ou plusieurs auto-écoles, qui sont les intermédiaires officiels entre le professeur et l’élève.

Les professeurs auto-déclarés sortent des clous lorsqu’ils proposent leurs prestations en direct. De ce fait, « ils n’ont pas d’agrément préfectoral », s’indigne Jean-Pierre Lemonier, secrétaire général de l’Unidec. Pour publier leurs annonces, en effet, les moniteurs d’auto-école n’ont l’obligation d’indiquer ni leur numéro d’agrément, ni leur nom, prénom et adresse. « Seul le numéro de SIRET est exigé, poursuit Jean-Pierre Lemonier. Et lorsqu’on les vérifie ils sont rarement corrects. » Selon le gouvernement, près de 1,5 million de candidats passent chaque année l’examen du permis de conduire. Un marché juteux dont les moniteurs « sauvages » veulent avoir leur part.

Nihal Guevara, une candidate de 23 ans, a raté trois fois son permis. Son oncle a cherché une solution pour lui permettre de repasser l’examen à moindre coût. Il a découvert les prix très attractifs de son futur moniteur indépendant. « Je paye mon moniteur 29 euros de l’heure, pour le même service l’auto-école me facture 50 euros », assure Nihal Guevara, Pour profiter de cette offre alléchante Nihal doit régler, avant ou après l’heure, en espèces. Elle reçoit alors une facture sans aucune valeur légale. Mais, Nihal a choisi de prendre ce type de cours aussi pour la disponibilité du professeur. Il lui accordait parfois des heures la veille, voire le jour même.

Jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende

L’Unidec traque depuis deux ans ces moniteurs indépendants. Le fruit de ces investigations est transmis à son cabinet d’avocats ou à la préfecture de police. « Il y a, au minimum, une annonce publiée par jour dans chaque département », assure Jean-Pierre Lemonier. Le nombre de moniteurs condamnés reste secret. Ponctuellement, l’organisation divulgue certains cas. Ainsi, le Tribunal de commerce de Nantes a prononcé une ordonnance le 5 avril 2016 contre un conducteur. Il enseignait sous le statut d’exploitant, avec l’enseigne LOCALIB. Il lui a été ordonné de « cesser l’activité de loueur de véhicule spécialisé dans l’enseignement de la conduite automobile avec sa présence à bord du véhicule le temps de la location. » Il a écopé d’une astreinte de 2000 euros au titre de l’article 700 du Code de la procédure Civile.

Une somme relativement modérée par rapport aux sanctions maximales encourues par les fraudeurs : jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Sans oublier l’URSSAF qui, de son côté, peut réclamer aux contrevenants les prestations sociales non versées.

« Soyons clairs, il s’agit de travail au noir, les enseignants demandent le paiement en numéraire pour ne pas déclarer, s’offusque Jean-Pierre Lemonier. Par ailleurs, sans poursuite judiciaire, il est compliqué de vérifier leur diplôme et leur assurance. » Une difficulté qui pose la question de la sécurité autant pour l’élève que pour les personnes présentes dans l’espace public.

Le Bon Coin dans le collimateur

Si les policiers arrêtent un moniteur et son élève en flagrant délit durant une leçon, le client peut être condamné pour conduite sans permis devant le tribunal correctionnel. Une infraction passible d’un an d’emprisonnement, 15 000 euros d’amende et l’interdiction de conduire pendant une durée de 5 ans. En outre, les véhicules dans lesquelles les élèves apprennent à conduire disposent d’une assurance valable uniquement pour le moniteur. En cas d’accident, le fonds des assurances indemnisera les victimes mais le moniteur devra intégralement rembourser ces sommes.

Les sanctions encourues pour conduite sans permis.

Les sanctions encourues pour conduite sans permis.

Capture d’écran www.legipermis.com

Ce risque calculé, les moniteurs indépendants sont prêts à le prendre compte tenu des gains potentiels. Théoriquement, avec une heure facturée entre 30 et 35 euros, un moniteur ne payant pas ses impôts et travaillant 35 heures par semaine peut espérer gagner entre 4200 et 4900 euros par mois. Une rétribution conséquente, quand le salaire moyen mensuel de la profession s’élève à 2000 euros bruts.

Pour endiguer le succès de ces moniteurs indépendants qui – bons ou mauvais pédagogiquement – restent hors la loi, l’Unidec a décidé de prendre le mal à la racine en s’attaquant aux sites d’annonces. L’organisation a adressé deux courriers par l’intermédiaire de ses avocats au site Le Bon Coin afin de leur demander de vérifier la légalité des annonces postées sur leur site.